À la fin du mois de mars, les dirigeants des États membres de l'Union européenne se sont retrouvés unis dans la paix et l'amitié pour célébrer le trentième anniversaire de l'institution européenne. Ce seul événement est une réussite que beaucoup auraient jugée impensable lorsque les États membres fondateurs ont conclu les traités il y a 60 ans. Alors que nous célébrons cet anniversaire, nos pensées vont à nos prédécesseurs, dont le rêve d'Europe est devenu réalité. C'est le moment de réfléchir avec fierté à ce que nous avons accompli et de nous remettre à l'esprit les valeurs qui nous unissent. Mais cet anniversaire doit aussi marquer le début d'un nouveau chapitre. Nous avons à relever des défis de taille, qu'il s'agisse de notre sécurité, du bien-être de nos peuples ou du rôle que l'Europe devra assumer dans un monde de plus en plus multipolaire. Une Europe unie doit forger son propre destin et élaborer une vision de son propre avenir. Ce document est la contribution à ce nouveau chapitre du projet européen. Nous voulons lancer un processus par lequel l'Europe déterminera sa propre voie. Nous voulons identifier les défis qui nous attendent, les opportunités qui s'offrent à nous et exposer la manière dont nous pouvons collectivement choisir d'y répondre. Alors que nous allons décider de la voie à suivre, n'oublions pas que l'Europe a toujours donné le meilleur d'elle-même lorsque les Européens sont unis, audacieux et confiants dans leur capacité à construire ensemble leur avenir. L'Union européenne a changé nos vies en les améliorant. Nous devons veiller à ce qu'elle continue de le faire pour tous ceux et celles qui nous suivront. Pendant des générations, l'Europe a toujours été synonyme d'avenir. Elle a pris son essor avec la vision de deux prisonniers politiques détenus par un régime fasciste. Leur manifeste décrivait un lieu où alliés et adversaires se rassembleraient pour éviter que les vieilles absurdités ne renaissent jamais en Europe. Plus tard, inspirés par ce rêve d'avenir partagé et pacifique, les membres fondateurs de l'Union européenne ont entamé un parcours unique et ambitieux d'intégration européenne. Ils se sont mis d'accord pour régler leurs conflits autour d'une table plutôt que sur un champ de bataille. Ils ont remplacé le recours à la force armée par la force du droit. Ils ont ouvert la voie qui a permis à d'autres pays de participer au projet, contribuant ainsi à réunifier l'Europe et à nous rendre plus forts. Notre passé troublé a donc laissé la place à une paix s'étendant sur sept décennies et à une Union élargie à des millions de citoyens qui vivent libres au sein de l'une des économies les plus prospères de la planète. Les images des tranchées et des champs de bataille ou d'un continent coupé en deux ont été remplacées par l'image d'une Union européenne qui se distingue comme étant un pôle de paix et de stabilité. Il ne faut jamais oublier le sacrifice des générations précédentes, renoncer à la dignité humaine, à la liberté et à la démocratie qui ont été chèrement acquises. Ces valeurs fondamentales continuent de nous unir, même si l'attachement à la paix n'a pas le même sens pour tous les Européens d'aujourd'hui que pour leurs parents ou grands-parents. L'Union européenne est désormais le lieu où les Européens peuvent bénéficier d'une diversité exceptionnelle de cultures, d'idées et de traditions. L'Union européenne est le lieu où ils ont tissé des liens durables avec d'autres Européens et où ils peuvent voyager, étudier et travailler au-delà des frontières nationales sans changer de monnaie. L'Union européenne est le lieu où l'État de droit s'est substitué au droit du plus fort. L'Union européenne est le lieu où on ne se contente pas de discourir sur l'égalité, mais où on continue à se battre pour l'égalité. Malgré cela, de nombreux Européens considèrent que l'Union est trop éloignée de leurs préoccupations ou qu'elle interfère trop dans leur vie quotidienne. D'autres remettent en question sa valeur ajoutée et demandent ce que fait l'Europe pour améliorer leur niveau de vie. De plus, nombreux sont ceux qui jugent que l'Union européenne n'a pas été à la hauteur de leurs attentes lorsqu'il a fallu gérer la pire crise financière, économique et sociale de l'après-guerre. Les difficultés auxquelles l'Europe est confrontée ne semblent pas devoir disparaître. Notre économie se redresse après la crise financière mondiale, mais la reprise n'est pas encore ressentie de manière suffisamment homogène. Certains pays de notre voisinage sont déstabilisés, ce qui a provoqué une grave crise de réfugiés. Des attentats terroristes ont frappé le cœur de nos cités. De nouvelles puissances mondiales émergent, tandis que les anciennes sont confrontées à de nouvelles réalités. De plus, l'année dernière, l'un de nos États membres a voté en faveur d'une sortie de l'Union européenne. La situation actuelle ne doit pas nécessairement être un facteur limitant pour l'avenir de l'Europe. L'Union européenne s'est souvent construite à la suite de crises et de faux départs. L'Europe a toujours été à la croisée des chemins et a toujours évolué en s'adaptant. Dans le passé, plusieurs traités ont réformé et transformé en profondeur une Union dont le territoire a plus que doublé. Comme les générations qui nous ont précédés, nous ne pouvons pas répondre aux enjeux futurs en nous laissant guider par la nostalgie ou une vision à court terme. Nous devons nous appuyer sur une perspective commune et sur la conviction partagée qu'en conjuguant nos efforts, chacun d'entre nous s'en sortira mieux. Maintenant il nous faut une fois de plus porter notre réflexion vers l'avenir. Ce rapport passe en revue les moteurs du changement au cours de la prochaine décennie et présente une série de scénarios illustrant les évolutions possibles de l'Europe. Ce faisant, il lance un débat qui devrait contribuer à cibler les réflexions et à trouver de nouvelles réponses à cette ancienne question. Quel avenir voulons-nous pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour notre Union? L'Europe possède le plus grand marché unique au monde et la deuxième monnaie la plus utilisée. Elle est la plus grande puissance commerciale et le premier donateur d'aide au développement et d'aide humanitaire. Grâce notamment au plus grand programme de recherche multinationale du monde, l'Europe est à la pointe de l'innovation. Sa diplomatie a un poids réel et contribue à rendre le monde plus sûr et plus durable. L'Europe exerce une attraction sur bon nombre de ses partenaires. Même si aucune nouvelle adhésion n'est prévue à court terme, la simple perspective d'une entrée dans l'Union européenne constitue en soi un instrument pouvant fortement contribuer à la stabilité et à la sécurité le long de nos frontières. L'Union européenne coopère activement avec ses voisins, que ce soit à l'est ou au sud. Le rôle de l'Europe en tant que force positive à l'échelle mondiale est plus important que jamais. Toutefois, ce statut ne doit pas faire oublier une réalité toute simple. La place de l'Europe dans le monde se réduit, alors que d'autres régions du monde se développent. La puissance économique de l'Europe devrait également diminuer en termes relatifs. Face à l'augmentation rapide de l'influence exercée par certaines économies émergentes, l'Europe se doit de plus en plus de parler d'une seule voix et d'agir en faisant jouer le poids collectif de ses différentes composantes. La mobilisation de troupes à nos frontières orientales, la guerre et le terrorisme et la militarisation croissante à travers le monde, sont des exemples éloquents d'un environnement mondial de plus en plus tendu. Il n'a jamais été aussi essentiel de réfléchir aux moyens de dissuasion, de réaction et de protection face aux menaces, qu'il s'agisse de cyberattaques de grande envergure ou de formes plus traditionnelles d'agression. L'Europe ne peut pas faire preuve de naïveté et doit prendre en charge sa propre sécurité. Être une puissance douce ne suffit plus, lorsque la force peut prévaloir sur le droit. Alors que le monde n'a jamais été aussi petit ou mieux connecté, le retour de l'isolationnisme a semé le doute sur l'avenir du commerce international et du multilatéralisme. La prospérité de l'Europe et sa capacité à défendre nos valeurs sur la scène mondiale continueront à dépendre de son degré d'ouverture et du maintien de liens solides avec ses partenaires. Or, se battre pour la liberté du commerce et la libéralisation des échanges et orienter la mondialisation pour qu'elle soit profitable à tous sera de plus en plus difficile. En ce qui concerne l'économie et la société, la crise financière et économique mondiale a profondément ébranlé l'Europe. Une action déterminée a permis de ramener la stabilité dans l'économie, le chômage atteignant son niveau le plus bas depuis la grande récession. Toutefois, la reprise reste inégalement répartie dans la société et entre les régions. S'attaquer aux conséquences de la crise, que ce soit le chômage de longue durée ou les niveaux élevés d'endettement public et privé dont souffrent un grand nombre de parties de l'Europe, reste une priorité urgente. Les jeunes sont la génération la plus touchée par ces problèmes. Il existe un risque réel que les jeunes adultes d'aujourd'hui connaissent une existence moins aisée que leurs parents. L'Europe ne peut se permettre de perdre le groupe d'âge le plus instruit qu'elle ait jamais eu et laisser les inégalités entre générations condamner son avenir. Ces évolutions ont alimenté les doutes sur l'économie sociale de marché de l'Union européenne et sur sa capacité à répondre aux attentes placées en elle de ne laisser personne de côté et d'améliorer le sort de chaque nouvelle génération par rapport à la précédente. Faire de l'Europe une économie d'avenir plus inclusive, compétitive et résiliente ne sera pas moins difficile dans les années à venir. L'Europe vieillit rapidement et l'espérance de vie y atteint des niveaux sans précédent. De nouvelles structures familiales, les changements de la structure démographique, l'urbanisation et la diversification des parcours professionnels influent sur la manière de construire la cohésion sociale. En l'espace d'une génération, la notion consistant à garder la même activité professionnelle tout au long de sa vie a été remplacée, pour le travailleur européen moyen, par celle d'une carrière comptant plusieurs activités professionnelles. Les femmes sont plus nombreuses que jamais sur le marché du travail mais, pour parvenir à une véritable égalité entre les femmes et les hommes, il faudra surmonter des obstacles tenaces. À l'heure où la population européenne en âge de travailler devient moins nombreuse, l'Europe doit mobiliser tout le potentiel de ses talents. L'Europe possède déjà les systèmes de sécurité sociale les plus avancés du monde, susceptibles d'apporter des solutions aux problèmes de société partout dans le monde. Sa communauté scientifique est à la pointe de la recherche mondiale sur les problèmes de santé. Une modernisation profonde des systèmes de protection sociale sera cependant nécessaire pour que ceux-ci restent abordables et s'adaptent aux nouvelles réalités démographiques et de l'organisation du travail. Ces défis sont doublement importants, alors que l'Europe doit s'adapter à la forte numérisation de la société qui rend déjà plus floues les limites entre salariés et indépendants, entre biens et services ou entre consommateurs et producteurs. Bon nombre de métiers actuels n'existaient pas il y a dix ans. Bien d'autres verront le jour dans les années qui viennent. Il est vraisemblable que la plupart des enfants entrant à l'école primaire aujourd'hui exerceront des métiers de types nouveaux, qui n'existent pas encore. Les défis liés à un recours accru aux technologies et à l'automatisation affecteront tous les métiers et tous les secteurs d'activité. Pour tirer le meilleur parti des nouvelles opportunités tout en atténuant d'éventuels effets négatifs, il faudra investir massivement dans le développement des compétences et repenser entièrement les systèmes d'enseignement et d'apprentissage tout au long de la vie. De nouveaux droits sociaux devront également être mis en place pour accompagner l'évolution du monde du travail. Parallèlement, l'Europe est déterminée à mener à bien une décarbonisation ambitieuse de son économie et à réduire fortement ses émissions nocives. De plus, nous devrons continuer à prendre en compte les contraintes climatiques et environnementales croissantes. Nos entreprises, nos villes et nos ménages devront adapter leur fonctionnement et leurs utilisations de l'énergie. Nous jouons déjà un rôle de premier plan dans le domaine des villes intelligentes, dans l'utilisation efficace des ressources naturelles et dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Nos entreprises détiennent environ la moitié des brevets mondiaux relatifs aux énergies renouvelables. L'un de nos principaux défis est de mettre sur le marché des solutions innovantes, au sein de l'Union européenne et ailleurs dans le monde. En ce qui concerne la sécurité, l'Europe offre à ses citoyens un lieu de liberté et de stabilité remarquables, dans un monde toujours en proie à la discorde et aux divisions. Toutefois, l'effet terrible produit par les récents attentats terroristes a ébranlé nos sociétés. L'effacement progressif de la distinction entre menaces internes et externes change la manière dont les gens conçoivent la sécurité personnelle et les frontières. Paradoxalement, ce phénomène intervient à une époque où il n'a jamais été aussi facile et répandu de voyager partout dans le monde à des fins professionnelles ou de loisirs. Les pressions induisant les migrations vont aussi se multiplier et l'origine des flux migratoires va se diversifier, à mesure que les effets de l'augmentation de la population, de la diffusion des tensions et des changements climatiques se font sentir. La crise des réfugiés est d'une ampleur inédite. Cela a suscité un vif débat entre les États membres sur la solidarité et la responsabilité, ainsi qu'une remise en question plus large de l'avenir de la gestion des frontières et de la libre circulation à l'intérieur de l'Europe. Pour les Européens qui se déplacent chaque jour vers un État membre autre que le leur et pour les personnes qui voyagent chaque année à travers l'Europe pour des motifs familiaux, touristiques ou professionnels, les frontières appartiennent au passé. Or, pour la première fois depuis l'effondrement des murs il y a une génération, les crises récentes ont conduit au rétablissement temporaire des contrôles à certaines frontières intérieures de l'Europe. Les mutations à l'œuvre dans le monde et le véritable sentiment d'insécurité que beaucoup éprouvent ont suscité une désaffection croissante pour les institutions et les courants politiques traditionnels à tous les niveaux. Elle se manifeste souvent par l'indifférence et la méfiance vis-à-vis de l'action des pouvoirs publics, et crée un vide que la rhétorique populiste et nationaliste vient trop facilement combler. La propension à imputer les problèmes aux institutions européennes, tout en s'attribuant les mérites des succès, à ne pas assumer les décisions communes et à toujours blâmer d'autres acteurs s'est déjà révélée dévastatrice. Un tel climat de discorde n'est pas sans conséquence sur l'état d'esprit des Européens. Le projet européen jouit encore d'un vif soutien, mais celui-ci n'est plus inconditionnel. La plupart des Européens qui considèrent l'Union européenne comme un lieu de stabilité dans un monde en crise, sont favorables aux libertés fondamentales de l'Union européenne et soutiennent la monnaie commune. Toutefois, la confiance des citoyens envers l'Union européenne, comme envers les autorités nationales, a diminué. Combler l'écart entre les promesses et leur réalisation est un défi permanent. Cela est notamment dû à la complexité de la construction de l'Union européenne, qui combine l'exercice de responsabilités au niveau européen et au niveau des États membres. On n'explique pas suffisamment bien qui fait quoi, et l'action positive de l'Union européenne dans la vie quotidienne n'est pas visible si l'information à ce sujet n'est pas relayée localement. Les communautés locales ne sont pas toujours au courant que leurs exploitations agricoles à proximité, leur réseau de transport ou leurs universités sont financés en partie par l'Union européenne. Il existe également un hiatus entre les attentes des citoyens et la capacité de l'Union européenne d'y répondre. Prenons l'exemple du chômage des jeunes. Malgré l'organisation de nombreux sommets à haut niveau et l'adoption de mesures de soutien utiles au niveau de l'Union européenne, les outils et les compétences restent aux mains des autorités nationales, régionales et locales. Rétablir la confiance, construire un consensus et créer un sentiment d'appartenance est plus difficile à une époque où l'information n'a jamais été aussi abondante, aussi accessible mais également aussi difficile à maîtriser. Avec son flux désormais ininterrompu, le cycle d'information s'est accéléré. Il est plus difficile qu'auparavant de le suivre et d'y réagir. Ces tendances ne vont que s'accélérer et continueront à influer sur le fonctionnement de la démocratie. Il en résulte de nouvelles possibilités pour faciliter le débat public et pour faire participer les Européens. Cependant, l'Europe et ses États membres doivent être plus prompts à interagir avec les citoyens, faire preuve d'une responsabilité accrue et remplir mieux et plus rapidement les engagements pris en commun. Bon nombre des mutations que l'Europe connaît actuellement sont inévitables et irréversibles. D'autres sont plus difficiles à prévoir et apparaîtront de manière inattendue. L'Europe peut soit se laisser porter par ces événements, soit chercher à les façonner. C'est maintenant que nous devons en décider. Les scénarios exposés dans ce document contribueront à orienter le débat sur l'avenir de l'Europe. Ils présentent une série d'aperçus sur ce que pourrait être l'Union européenne en fonction des choix que nous ferons d'un commun accord. Chaque scénario repose sur l'hypothèse que les États membres avancent ensemble en tant qu'union. Par nature, ces scénarios ont une vocation illustrative et visent à susciter la réflexion. Il ne s'agit ni de schémas directeurs précis ni de prescriptions politiques. De même, ils ne font délibérément pas mention des processus juridiques ou institutionnels. Trop souvent, le débat sur l'avenir de l'Europe se réduit au choix binaire entre plus ou moins d'Europe. Les différents scénarios présentent de nombreux recoupements si bien qu'ils ne s'excluent pas mutuellement ni ne sont exhaustifs. Il ne fait pas de doute que le résultat final sera différent des scénarios tels qu'ils sont présentés ici. Les États membres de l'Union européenne décideront d'un commun accord de la combinaison d'éléments à tirer des scénarios la plus à même de faire avancer notre projet dans l'intérêt de nos concitoyens. Bon nombre des avancées qui semblaient impossibles en Europe il y a plusieurs années sont désormais considérées comme allant de soi. Nos jours les plus sombres sont toujours plus lumineux que n'importe quelle journée vécue par nos prédécesseurs.